Viens, j’t’emmène voir par quoi il faut passer pour obtenir un 2nd visa en Australie! Tu ne connais pas les broccolinis? Tu n’as jamais travaillé en ferme? Ce qui suit va te plaire…

…TIC-TAC…

Après plusieurs mois à vivre au rythme de ma petite famille banlieusarde de Brisbane, il était temps que je m’envole. Je découvris la vie urbaine dans le quartier de Spring Hill, en colocation. Je commençais à créer ma bulle, à tisser des liens, à avoir des habitudes. Mais, depuis plusieurs semaines, au fond de moi, je savais que l’échéance se rapprochait. Mon retour en France devait avoir lieu mais cela n’empêchait pas un potentiel retour. Pour cela, je devais obtenir mon 2nd Visa. Un match quotidien de ping-pong incessant avait lieu avec mon moi intérieur, une bataille entre raison et envie. Veux-tu partir? Veux-tu rester?

Un jour, un coup de téléphone m’a permis de répondre à cette question. Je veux rester et je vais tenter le tout pour le tout. Mes amis avaient une place en ferme à me proposer. Pour bien comprendre la grandeur de cette opportunité, il faut savoir que malgré la présence d’agences spécialisées, les places en fermes ne courent pas les rues. En effet, parmi tous les PVTistes partis en Australie, pas loin de la moitié veulent y travailler. Pourquoi? Pour le salaire, mais pas que. Plus des 3/4 y vont pour tenter d’obtenir un visa d’une année supplémentaire dans les mêmes conditions. Cela veut dire pouvoir travailler et voyager en même temps. Effectivement, le gouvernement Australien a trouvé cette solution pour non seulement tester la motivation des jeunes voyageurs à rester plus longtemps sur leur sol, mais aussi pour s’assurer que la tâche agricole serait bien effectuée, cette dernière étant boudée par les locaux. Voilà pourquoi il m’était difficile de répondre par la négative. J’ai quand même prit quelques minutes avant de me prononcer car toutes les histoires entendues à ce sujet n’étaient pas très rassurantes. Entre la douleur, la difficulté de la tâche, les retours négatifs, les conditions de travail… Mais, le voyage, c’est aussi ça, non? Se dépasser, se prouver qu’on est capable, vivre de nouvelles expériences, être fier de soi.

…SLIDERS OU LES MONDES PARALLÈLES…

Alors, me voici en train de refaire mes valises, de quitter cette ville et cette âme colombienne qui me collait à la peau et qui allait horriblement me manquer pour me diriger vers une région nommée Granite Belt.

Place prise dans le bus, je quittais Brisbane, direction le sud. Plus les kilomètres défilaient, plus la pluie tombait, plus mes larmes coulaient. Je ne partais pas par envie, mais par nécessité et mon timing était trop serré pour tenter autre chose. Au fil du trajet, le paysage devenait différent. Nous étions dans la campagne, traversant des petites villes sans attrait.

Bienvenue à Stanthorpe! Après plusieurs heures de bus, je retrouvais mes amis, presque méconnaissables. Soulagée de voir des visages familiers, ils se fondaient dans le paysage, abîmés par l’exigence et le rythme du travail. Toute leur vitalité semblait avoir été aspiré… Mon dieu, mais dans quelle galère je venais de m’embarquer! N’ayant pas de moyen de transport, je devenais tributaire des autres. Ils me firent visiter la ville, c’est-à-dire la rue principale. Oui, il n’y en avait qu’une. Je me trouvais dans une autre dimension, les gens nous observaient du coin de l’œil, ils donnaient l’impression de se murmurer des mots à l’oreille du genre: « Tiens, une nouvelle tête, je la mangerai bien en ragout ce soir » ou encore « Regardes-la, elle ne sait pas encore qu’elle ne pourra plus jamais repartir d’ici ». J’avais cette envie de fuir cet endroit, de prendre mes jambes à mon cou, d’embarquer mes amis avant qu’ils ne se transforment en vampires à leur tour, ou peut-être bien était-ce déjà trop tard… Nous sommes à 1000 mètres d’altitude, à un des points les plus culminants du Queensland. D’ailleurs, j’ai l’impression d’être dans une autre région. Des picks-up partout, ici le travail se tourne principalement vers la terre. Nous irons faire 2 courses au Woolworth du coin, merci mon dieu, il y en a un! Les maillots de bain, les shorts et les paillettes sont troqués par les barbes, les casquettes et les bottes. J’ose espérer qu’à force de me répéter que tout ira bien, tout ira forcément bien… Mes amis me déposeront à un des deux campings de la ville où je partagerai l’espace de deux caravanes coupées en deux avec 3 japonaises, pour le luxe, on repassera. Il sera rempli de backpackers comme moi, comme nous, en tente, en van ou en mobile-home. Payés au seau ou à l’heure, certains travaillent dans les pommes, d’autres dans les tomates, les fraises, les vignes ou encore les broccolonis!

…LES BROCCOLINIS ET MOI…

Après une nuit fraîche, le réveil sonna à 4h30 du matin pour mon premier jour de travail en ferme! Les douches sont à l’opposé de ma caravane, la nuit est encore bien noire et tout le monde dort encore paisiblement. De l’eau chaude? Dans mes rêves… Petit-déjeuner et déjeuner dans le sac, tenue appropriée et musique dans les oreilles, j’attendais avec impatience l’arrivée de mes amis à l’entrée du camping. Nous voici en route pour aller picker des broccolinis. Je ne savais même pas à quoi cela ressemblait. Prenez une asperge et collez-lui une tête de brocoli, vous obtiendrez le broccolini par excellence, qui ne se cultive qu’en Australie. Une fois à la ferme, les voitures arrivent les unes après les autres, la température est encore un peu fraîche et je comprends qu’il est trop tôt pour me présenter, tout le monde n’en avait que faire. Je n’étais qu’une nouvelle tête qui prenait la place de quelqu’un d’autre dans une équipe qui comptait 8 français, 2 canadiens, 1 asiatique et 2 allemands. Les « petits-chefs » arrivèrent, me serrèrent la main, sans plus. Une camionnette arriva, c’était le top départ. L’aventure commençait. Tout le monde se rua à l’arrière, tant pis pour les retardataires, ici on n’attend personne. Une fois le moteur éteint, tout le monde descend, les chef-tons attribuent une rangée par personne. Pour mon premier jour, je vais être secondée, ils vont m’apprendre comment cueillir sans casser la tige ni la tête, comment porter le tas de légumes sur le bras et comment le déposer sur le tracteur sans tout mettre par terre. Parce qu’ici, c’est magique, un mot de trop ou un pas de travers et tu es viré! Quand je vois la longueur du champ, les autres à côté, la vitesse à laquelle ils vont, je me mets sur pilote automatique. Interdiction d’en oublier, interdiction de trop parler, interdiction de rire, interdiction de faire une pause, bref, c’était le bagne. Les champs sont tous mouillés, les tiges sont dures et pour couronner le tout, le soleil sort et la chaleur s’installe. J’ai faim mais on ne sait pas à quelle heure nous allons avoir notre première pause, ni à quelle heure nous allons finir la journée. J’ai soif mais je ne savais pas encore que j’avais le droit à une bouteille d’eau. Je ne vais pas assez vite et j’ai l’impression que je vais crouler sous le poids des légumes. L’ambiance se détend au fur et à mesure des heures et les fous rires vont bon trains en raison d’un état de nervosité avancé. Ça y est, la journée est terminée. Mon état est aussi proche de celui d’une larve. Nous sommes tous plein d’eau, plein de terre, exténués. J’ai les mains en sang, mais la délivrance nous donne le sourire. Il me faut tenir 88 jours. Rien que cette idée me fait rire, 88 jours au camping, 88 jours à venir travailler ici, 88 jours dans cette ville dont l’ambiance m’effraie, 88 jours loin de Brisbane, pas un de moins sinon au-revoir le 2nd visa. Tous les jours se suivront et sans grande surprise, se ressembleront.

…LES LIENS QUI FONT DU BIEN…

Au bout du troisième jour, l’envie de tout abandonner se fit sentir. Je n’en pouvais plus, cela ma paraissait irréalisable, insurmontable, impossible. Puis, j’ai tenu. Je me suis équipée de bottes, de gants, d’un pantalon imperméable, d’un K-way et d’une casquette. Je savais ce que je devais manger, et je savais aussi que je devais trouver un autre logement. Nous étions au mois d’avril, l’automne était là, le froid aussi. C’est à la fin de la première semaine que j’entrepris les recherches. Un homme proposait de louer sa caravane dans son jardin, à deux pas du centre-ville. Après la visite, n’ayant rien de mieux, je quittais le camping pour mon plus grand bonheur. N’étant quand même pas convaincue par ce plan qui ne me rendait pas sereine, je continuais les recherches, prêtes à arpenter la ville à pieds pour trouver quelque chose d’autre. Tous les hôtels et backapacks affichés complets, et il était hors de question de retourner au camping. Par miracle, une annonce qui correspondait exactement à ce qu’il me fallait apparut! Une française qui louait une maison avec plusieurs chambres cherchait des colocs! Bingo! En deux temps trois mouvements, me voici à 22heures, dans ma nouvelle chambre. La maison était quasiment vide, mais l’utile était là. Un grand jardin, une terrasse couverte, des lits, une cuisine à peu près équipée, le wifi et un poêle à bois! Je m’auto attribuais la chambre du fond, la plus petite, la plus tranquille, mais aussi, la seule non isolée! Dans la douleur avec notamment une hanche bloquée, je me suis essayée aux massages asiatiques. J’avoue avoir eu un peu d’appréhension avant la séance, mais, cela me permis de tenir encore. Médicaments et relaxation ne soulageaient qu’un minimum avant le lendemain. Travaillant 7 jours sur 7, accueillants de nouveaux colocs, la maison reprit vie, petit-à-petit. Après quelques descentes aux Charities shops du coin et quelques palettes, notre demeure commençait à avoir de une certaine allure. Nous étions tous là pour effectuer nos jours de fermes, nous étions tous dans la même galère et nous nous soutenions les uns, les autres. Plus l’aventure était dure à vivre, plus nos liens étaient forts. Au fil du temps, les habitudes arrivèrent, chacun avait son rythme et nous nous retrouvions pour les repas. Chacun mettait son talent au profit de la communauté. L’un avait la voiture, l’autre avait le permis, une nous trouvait de bonnes bouteilles de vin, une autre avait un talent de cuisinière, puis l’autre détendait l’atmosphère…

La vie continuait malgré tout. Quelques anniversaires et de bons repas nous aidèrent à échapper un moment à ce quotidien. Certains backpackers changeaient de fermes, d’autres changeaient de logement, finalement, nous étions ceux qui peuplaient cette petite ville d’ordinaire plutôt tranquille. Nous n’étions pas non plus très bien vus, alcools, drogues et vols étaient mis le plus souvent sur nôtre dos. Plus les jours passaient, plus le froid s’installait. Nos heures de travail se décalaient au fur et à mesure jusqu’au jour où, à cause du froid, la cueillette fût impossible. La production allait s’arrêter, l’hiver était arrivé bien tôt cette année. Après avoir récolté pendant 44 jours et commencé à arracher les plans pour préparer les champs aux nouvelles semences, nous quittèrent la ferme avec nos contrats de travail sous le bras. Malheureusement pour moi, je n’avais fait que la moitié des jours demandés. La ville commençait à se vider, les voyageurs en manque de jours de travail se dirigèrent vers le nord, là où le climat était encore propice à la récolte. Je décidais de rester 5 jours avant de rentrer sur Brisbane avec ma nouvelle petite famille. Parce que c’est ce que nous étions là-bas, plus que des colocs dans la même galère. J’en profitais pour découvrir cet endroit, et me rendre compte à quel point c’était beau. Au milieu des fruits et des légumes locaux, je remarquais qu’il y avait une grande note européenne dans la région. Des vignobles à perte de vue, une gastronomie riche et variée, une nature permettant de s’évader lors de randonnées ou de simples balades. C’était beau et je n’y avait vu que du feu, aveuglée par la douleur, la tristesse et la fatigue.

…LE RETOUR A LA NORMALE…

Mes amis avaient quittés l’aventure depuis quelques jours déjà en prenant la direction du nord. Et après avoir passé de longues soirées au coin du feu avec la nouvelle saison de Games Of Thrones en guise de seule échappatoire, il était temps de quitter cet endroit et de rentrer à la maison, à Brisbane. J’avais attendu ce moment depuis mon arrivée, c’est-à-dire depuis plus d’un mois et demi auparavant. Pour me protéger de cette épreuve, je m’étais mise dans ma bulle, à tel point que la simple idée de pouvoir partir d’ici me procurait des étourdissements. Le jour de la délivrance avait sonné. Autant vous dire que mes valises furent packées en un temps record et mes bottes en caoutchoucs prirent la direction de la poubelle. Nous étions 5 à partir ce jour là, laissant mes 4 colocataires occuper les lieux encore quelques jours. Je n’en revenais pas, mais j’étais triste! Dans la difficulté, le traumatisme physique, la météo et les conditions de travail, j’avais ressentis des émotions tellement fortes et intenses. 1 mois et demi passé ici me donnait l’impression de partir après plus de 6 mois à vivre au rythme des champs, de la colocation et du froid. Nous ne l’avons sûrement pas tous vécu pareil, mais, de mon côté, cela restera un des moments clés de mon aventure australienne, voire de ma vie. Voiture chargée, ceintures bouclées, en route vers la liberté! Mais, heureusement que tout ne se passe pas comme prévu, sinon, on s’ennuierait… Nous étions partis pour 2h30 de route avant d’arriver à destination, quand à moitié chemin, la voiture nous fît faux-bond. Je vais m’éviter de vous décrire cette scène, je suis sûre que vous arriverez très bien à imaginer nos têtes! C’est après un long moment de réflexion et après avoir condamné l’idée de revenir sur nos pas, que Uber vint nous sauver. C’était impossible autrement, ce soir, je dormirai dans mon lit, je retournerai dans ma maison, celle que je considérais comme mon chez moi. Ce soir, je retrouverai mes colocataires, je retrouverai ses bras qui m’avaient tant manqué durant ces longues nuits froides passées là-bas. Ce soir, je redeviendrai citadine dans la ville qui m’avait tant manqué. C’est avec soulagement, émotions, détente, sourire, bref, avec plein d’amour que je regagnais cette vie là. En plus de tout cela, je rentrai la tête pleine de souvenirs.

Cette aventure m’a rendu plus riche, elle m’a permis un dépassement de moi-même que je n’aurais pu avoir autrement. Mais, elle m’a surtout permis de rencontrer des gens merveilleux, qui ont enchanté ces quelques semaines de dur labeur et avec qui je partagerai toujours un lien spécial. Même si le contact ne se fera pas régulier à cause des distances géographiques ou autres, nous seront toujours liés car nous y étions ensemble. Malheureusement, le retour se fit aussi avec beaucoup de tristesse et une pointe de déception car je rentrais les mains vides, sans visa. Cela signifiait un aller en France imminent sans retour, un autre compte à rebours avait commencé, j’avais 7 jours pour dire au-revoir, pire, faire mes adieux…

 

Mary JANE.