Samedi 12 Janvier 2019. 14h00. Toulouse. Allez, viens, j’t’emmène…
…ENGAGEMENT, QUAND TU NOUS TIENS…
Place Wilson, me voici. Yeux grands ouverts, oreilles bien tendues et écharpe bien enroulée autour du cou, me voici prête pour pouvoir vous faire un retour sur situation.
Malgré le froid, plusieurs centaines de personnes ont décidé de prendre un grand bol d’air frais aujourd’hui, munies d’un gilet jaune, ou non. Je remarque que l’ambiance est toujours aussi conviviale. Je sonde les lieux, je fais un petit tour d’horizon, ce rassemblement n’est pas exclusif, des jeunes, des retraités, des chômeurs, des personnes révoltées ainsi que les courageux T-shirts blancs, secouristes bénévoles. Bref, le mouvement n’a pas l’air de désemplir.
Quelques personnes extérieures jettent un œil, dont certaines avec un œil désapprobateur, la plus part avec des poches plein les mains. H&M, Mango, San Marina et j’en passe… Sans oublier bien sûr, la nouvelle star de Toulouse, Primark ! Pas de panique, leurs sachets sont en papiers kraft. C’est alors que cela me revient en mémoire, nous sommes le 1er samedi des soldes…
…EN AVANT, MARCHE…
Le départ est lancé, se sera à gauche sur le boulevard Lascrosse que les premiers fouleurs du bitume toulousain se lanceront. Digne d’une manifestation sportive, l’axe est bloqué aux voitures, seuls quelques cyclistes livreurs tentent de se frayer un chemin. La météo se montre clémente, les banderoles se dressent, les chants donnent le rythme gaiement. Naviguant de droite à gauche, d’avant en arrière, je suis surprise du nombre croissant de personnes rejoignant les rangs au fur et à mesure.
Autant, des gilets jaunes, j’en vois à perte de vue, autant, des uniformes noirs, je n’en vois quasiment pas. J’avoue que cela m’interpelle. Où sont-ils ? Vont-ils faire une apparition surprise ? L’esprit un poil préoccupé, je continue ma marche rapide.
Toujours sur le boulevard, j’aperçois au loin des drapeaux rouges. La CGT s’invite et ils seront accueillis en chansons et sous des applaudissements. Toujours plus nombreux, la tête du troupeau prend la tangente place Arnaud Bernard. Nous voici dans les petites rues. Commerçants devant leur devanture, des sourires s’échangent. J’en profite pour découvrir de nouveaux lieux. Puis, un peu plus loin, je remarque une femme, blouse blanche, mégaphone en main, les infirmières et infirmiers de Toulouse sont de la partie, aussi.
…LE SERPENT QUI NE SE MORDRA JAMAIS LA QUEUE…
Les premiers se retrouveront encore une fois sur le boulevard alors que la fin du cortège n’aura toujours pas eu l’occasion de marcher sur les pavés des petites ruelles. Je vous laisse imaginer la longueur de l’évènement… Un vrai serpent dont la tête marque une pause au niveau de Jeanne D’Arc, où j’ai le plaisir de les voir, les hommes de l’ombre. Malgré leur présence, leur calme m’intrigue de plus en plus…
De nouveau en mouvement, les manifestants passent devant Primark, dont les grilles se trouvent baissées. Peut-être avaient-ils peur des ruptures de stock ? Après tout, nous sommes en période de soldes ! Malgré quelques mots d’Amour échangés avec les forces de l’ordre, la direction du Capitole devient évidente. Devançant les autres, me voici perchée à l’autre bout de la place afin de prendre conscience du nombre de présents. Après une petite pause de quelques minutes, voici le serpent ondulant vers Alsace Lorraine.
L’échange avec les commerçants n’a rien à voir. Les grilles se ferment les unes après les autres comme pourrait se dérouler un tapis rouge. Certains se voient garder leurs clients à l’intérieur comme s’ils cherchaient à les protéger d’une menace. Pourtant, se fier aux apparences n’est pas une solution, tous les reptiles ne sont pas venimeux… Heureusement, des bandas sont là pour rendre ce moment chaleureux et convivial. Cela permettra à certains de danser, de rentrer dans le rythme, un petit moment d’évasion sur des notes de féria. Bref, comme un samedi après-midi en pleine période de consommation à outrance à Toulouse, le centre-ville se voit, non pas être noir mais plutôt jaune de monde. À la différence que les motivations ne semblent pas être les mêmes…
…LES MINUTES DÉFILENT…
Malgré quelques messages peints sur certaines façades, quelques petits feux d’artifice lancés en l’air, quelques pieds de feus rouges en feu, aucune casse n’est à déclarer. Au vue des réactions, il faut bien remarquer que cela est loin d’être toléré par la plupart des participants. Moi-même un peu déçue de voir cela, je remarque quelques personnes en civils, décrivant des personnes au comportement soupçonneux par téléphone. Premières interpellations ?
Dorénavant, c’est l’axe de la rue de Metz qui se voit être barré. La prochaine destination serait le Palais de Justice. Et, c’est à ce moment-là que j’ai craint. Des camions de police stationnés sur les côtés, des CRS bien présents, voilà de quoi en titiller certains… Les doigts croisés pour que cela reste pacifiste, l’épreuve se veut être relevée. Cela fait plus de 2 heures que nous marchons, une halte se voit être la bienvenue au niveau du monument aux morts, érigé en mémoire des morts de la Haute-Garonne pour la France, lors de la 1ere Guerre Mondiale. Un hasard ? Un symbole ?
Ce sera un changement de direction qui provoquera un nouvel élan pédestre. Nous voici de retour vers le centre-ville par le Boulevard Carnot. Des clowns, des danseurs, des chanteurs… Nous voici de retour au point de départ, place Wilson.
…UNE NOTE DE FIN DU MONDE…
Il est entre 16h30 et 17h, le froid se fait sentir, mais l’ambiance est toujours là, eux aussi. Ceux en-tête du cortège se retrouvent, encore une fois, face au Capitole. J’ai pris du retard, je me suis permise de prendre le temps de profiter d’un petit concert improvisé dos aux Allées Jean Jaurès jusqu’à ce que mon regard se voit être attiré vers la droite. La bête fait son entrée…
Décidant de rattraper mon retard et de ne pas rester là, je m’engouffre vers la place de la mairie, passant la place Wilson. Je continue à me frayer un chemin. C’est à ce moment-là que j’entends des cris, j’entends des mots ! « Ils gazent, ils gazent ! »
Comment cela est-il possible ? Que se passe-t-il ? Me voici marchant quelques mètres de plus, quelques mètres de trop… Je me trouve dans un nuage de fumée, s’épaississant en 2 secondes, le temps de rien. Les yeux me piquent, la gorge me chatouille. Je connais cette sensation, nous nous étions déjà rencontré la dernière fois. Même pas le temps de me tartiner les yeux de salive que mon visage se retrouve en feu, je ne peux plus voir, je ne peux plus respirer, je ne peux plus parler. J’entends la foule en détresse en second plan, les gens qui partent en courant sans savoir où aller, des bousculades, des mini émeutes. Des débris volent au-dessus de ma tête, je les sens tomber dans mes cheveux, mais je ne peux rien faire. La fumée est partout, s’étalant sur plusieurs mètres, m’empêchant totalement de respirer. Je ne vois pas d’issue. Je commence à ne plus tenir debout et malgré tout, je continue d’entendre le clic de nouvelles grenades. J’avais deux choix, soit, je succombais et perdais mes esprits comme certains au risque de me faire piétiner, soit, je tentais de battre mon record d’apnée et d’aller vers un air sans fumée.
…SANS COMMENTAIRES..
Une porte s’ouvrit, je m’engouffre. Je m’écroule. Je retrouve ma respiration, du plus profond des mes poumons. Nous sommes plusieurs à avoir trouvé refuge. Je suis un peu en panique, choquée. Est-ce vraiment des hommes qui ont fait cela ? N’est-ce pas seulement à la télé ? J’ai cru y rester. Jamais je n’avais vécu un moment avec autant de violence. Jamais je n’avais eu ce sentiment de fin. Et pourtant, je n’aurais pas dû être surprise. Il s’agissait finalement du calme avant la tempête.
Jambes flanchantes, je dois sortir. Après de longues minutes d’attentes, de secours portés à une dame en total état de choc, aidée par des T-shirts blancs qui nous confirmaient que « c’était tombé sévère dehors », je devais partir. Appréhendant la situation à l’extérieur, je fus surprise et rassurée de voir que tout le monde avait quasiment déserté les lieux. J’entendais encore des gens crier « ils ont utilisé le canon à eau place du Capitole ! ». Retrouvant mes esprits, je compris qu’ils nous avaient encerclés comme un troupeau de moutons. Ils nous avaient coincés volontairement, manifestants, non-manifestants, journalistes, vieux, jeunes, enfants, afin d’envoyer leurs bombes à gaz. Ils voulaient que la manifestation prenne fin, ils voulaient nous disperser et ils n’avaient pas fait semblant.
La nuit tombait, j’étais frigorifiée, encore un peu perturbée par ce qu’il venait de se passer. Une question raisonnée en moi « Pourquoi ? », « Pourquoi ? », « Pourquoi ? »… En recherche de grand air, d’air pur, je prenais la direction des boulevards. Ma peau me grattait, mon visage me démangeait, et ce mauvais goût dans ma bouche… Et là, je vis ce que j’appréhendais. Des répliques entre manifestants et force de l’ordre. Des mots que je n’écrirais pas ici, des cris, des insultes, des feux, des barricades… Bref, un joli portrait nocturne qui me fit mal au ventre. Des notes de guérillas, des airs d’anarchie, une vision de petite fin du monde. Des gaz étaient lancés en quantité astronomique me donnant encore la nausée… Il était temps de m’éloigner et de trouver du calme. En levant la tête, je réalisais me trouver aux pieds du support de la statue de Jeanne d’Arc. Heureusement loin des boules de feu qui auraient pu rouler sous ses pieds, cette dernière fut remplacée par une œuvre d’art, ornée d’un gilet jaune pour l’occasion, le temps de sa remise en beauté. Remarque, elle en a vu d’autres Jeanne…
…LA FIN JUSTIFIERA-T’ELLE LES MOYENS ?…
Chacun est absolument maître de ses idées, de ses pensées et de ses actes. Je ne regrette absolument pas ma présence aujourd’hui. Outre le côté prise de position, bord politique ou autre, j’y étais, j’ai vu, je sais.
Hier, j’avais peur uniquement que notre planète nous fasse défaut.
Aujourd’hui, j’ai eu peur pour ma sécurité.
Demain, j’aurai peur de mes semblables.
J’aurai peur que nous donnions raison aux plus négatifs des sociologues de ce bas monde et que nous mettions fin à notre civilisation nous-même…
L’avenir nous le dira, mais je continuerai de croire que le futur se montrera meilleur et si ce n’est pas pour nous, ce sera au moins pour nos enfants.
Après tout, nous sommes tous dans le même bateau.
Mary Jane.
Que d’aventures!