…TANNA, LES PREMIERS PAS…

Après s’être arrêtés un court moment pour prendre des photos qui ne donneront rien, nous continuons notre chemin. Fred est adorable. Il rigole tout le temps. Il aime son île et il aime la faire découvrir. À tel point qu’il a créé sa propre maison d’hôte, chez lui, au pied du volcan. Voilà où nous allons passer la nuit, au pied d’un volcan actif, dans une cabane perchée à plusieurs mètres dans les arbres, sans électricité, où les commodités sont non seulement rustres, non seulement en bas dans le jardin, mais surtout occupées par des arachnides de tailles et de couleurs différentes. De quoi vous faire passer l’envie…

Ses terres sont enfouies dans une nature, brillante, luxuriante, à côté d’une tribu préservée et timide que nous ne pourrons visiter. Nous rencontrons sa femme et ses deux autres enfants. Timides ou question de religion, ils seront d’une discrétion absolue tout en étant présents et serviables à la perfection. L’anglais n’étant pas leur fort, la communication ne sera possible qu’avec Fred. Après avoir déposé nos sacs, il est l’heure du repas. À base de riz, de poisson, de viande, d’ignames et de taros, le tout adoucit au lait de coco, les repas se ressembleront. Papayes, mangues et ananas nous livreront une pause sucrée bien appréciée. Nous voilà attablés tous les quatre, heureux de pouvoir enfin souffler.

Une bulle, voilà là où nous sommes. Le sol est encore plus noir qu’à l’aéroport et pour cause, le volcan est juste au-dessus de ma tête. Impressionnant. Intimidant. Perturbant. Ne nous mentons pas, nous sommes surtout ici pour lui. Grimper pour voir son cratère, de jour comme de nuit. Je veux vivre ce moment, celui tant lu dans tous les récits de voyage trouvés lors de mes recherches. Grimper ses 360 mètres, l’entendre gronder, le sentir trembler sous mes pieds, observer son magma érupter, voir sa lave jaillir. Voilà ce que je voulais, ressentir toute cette adrénaline qui me rendrait vibrante, qui ferait me sentir vivante.

…TANNA, UN FEU DE JOIE…

La météo se jouant de nous, nous passons l’après-midi sous la pluie. Une pluie lourde, épaisse, chaude, incessante, nous obligeant à rester à l’intérieur. Sieste, jeux de cartes, planification des prochains jours, voilà à quoi nous tentons de nous occuper. Mais, au fond, chacun de nous espère l’arrêt des gouttes, car plus les minutes passent, plus nos chances de monter au sommet s’éloignent. Ggggrrrrr Bbbooouuummmm ! Que se passe-t-il ? Jetant un œil dehors, ce que je reçois dans mes cheveux, ce n’est pas de l’eau, c’est de la cendre. Le volcan est réveillé ! Il va m’être très difficile de vous faire vivre, sentir, imaginer ce moment, mais croyez bien que c’était une des premières fois où j’entendais la nature communiquer aussi clairement.

En fin d’après-midi, Fred, désolé pour nous, nous confirme qu’il nous est impossible de monter. Les pluies des derniers jours en plus de celle d’aujourd’hui rendent la chose trop risquée. Blasés, nous dînons puis regagnons notre jolie cabane perchée dans cet arbre magnifique, certainement centenaire. Partageant cet espace à 4, vu le nombre de trous qu’il y a à travers les planches, cela n’est pas pour nous déplaire. Les moustiquaires sont les bienvenues, les serviettes sont pliées avec amour et les branches de l’arbre sont apparentes. Mais, cette petite estrade extérieure que Fred avait consolidé afin que les voyageurs puissent observer cette montagne noire à n’importe quel moment, a tout son charme. Pas loin de minuit, perchés tous les quatre, nos affaires prêtes et en tenue, nous espérons encore… Puis des coups de klaxon. La tête de Fred dépasse de la fenêtre de la voiture, lampe frontale allumée, sourire jusqu’aux lèvres. Miracle… « Let’s go my friends ! »

Ni une, ni deux, nous voici tous à bord, excités comme des enfants. Il fait nuit noire, tout le monde dort, il n’y a que nous dehors. Un peu plus loin sur la route, il y a du mouvement. Des hommes sont cachés. J’ai peur. Fred sort de la voiture, nous devons payer un droit de passage. Effectivement, pour monter, nous devons passer par une propriété privée. Malgré que cela était compris dans le prix total de l’hébergement, nous ne voulons pas rater notre chance, nous payons. Et nous voici partis pour une lutte acharnée. La route est totalement défoncée. Des trous partout. Nous descendons à tour de rôle pour déblayer, nous éclairons autant que possible les endroits plus sûrs, nous le dirigeons afin de ne pas finir dans le ravin, ce qui ne serait pas bien compliqué… Puis contre toute attente, nous arrivons sur un terre-plein. Nous laissons la voiture et nous continuons à pieds. Conscients des risques, nous savons que c’est dangereux. L’odeur qui se dégage est dérangeante et plus nous grimpons, plus elle devient nauséabonde. Il s’agit du soufre et cela me donne la nausée. Après avoir croisé une boîte aux lettres plantée là, nous l’apercevons, cette couleur rougeâtre tant attendue. Le sol bouge sous nos pieds, nous ne sommes plus très loin du cratère. Nous faisons confiance aux rayons de la pleine lune pour nous éclairer. Aucune barrière, aucun chemin, puis un banc. L’endroit n’est pas du tout sécurisé et à tout moment, la lave peut surgir et baver jusqu’à nous. Je ne suis pas du tout rassurée, mais malgré le vent, le spectacle qui va avoir lieu va m’enchanter. Subitement, je l’entends ce bruit sourd, ça vient de ce grand trou qui n’est qu’à quelques mètres de nous. Puis je sens que ça bouge sous mes pieds, encore. Malgré le manque de visibilité, je cherche Fred des yeux. Le volcan, il le connaît, il est né à ses pieds, a grandit avec lui et ne l’a jamais quitté. Il est assis par terre, les yeux rivés vers le ciel, il est tranquille, alors je lui fais confiance. Et dans un mélange de brouillard, après une concentration de soufre qui nous oblige à bloquer notre respiration, nous assistons à un timide feu d’artifices, rouge, le plus beau jamais observé. Histoire de marquer le coup, cette jolie parade prendra fin après un jet de cendres plus épais que précédemment. Malgré tout cela, Fred nous fait comprendre que le pourquoi de notre extase n’est qu’un tout petit aperçu du vrai spectacle. Après plus d’une heure, après en avoir pris plein les yeux, nous décidons de rentrer, difficilement, mais sûrement.

Mary Jane.

ÉPISODE SUIVANT – LUNDI 4 MARS 2019