…ACTION…

Je tends mon petit bout de papier glacé à l’élégante placeuse qui ouvre alors les portes du balcon, celles qui vont m’emmener de l’autre côté de l’écran. Encore des marches. Je pénètre dans cette salle baignée de lumières tamisées, dans une démarche des plus discrètes. Dans une ambiance rouge et noire, l’auditorium Louis Lumière dévoile ses 2 300 fauteuils. Le rideau est tiré. Je m’émerveille. Je prends place, oubliant l’espace d’un instant que je suis avant tout ici pour visionner un film le film. Je cherche des yeux, l’homme qui m’a permis de vivre cela, afin de le remercier, en vain. Au fur et à mesure, les sièges deviennent occupés. Le regard rivé sur cette scène, me voici en 1995. Vanessa apparaît, vêtue de sa jolie robe blanche, longue, à bretelles, chantonnante Le Tourbillon de la vie à côté de Jeanne… J’y vois Charlotte qui, en 2009, est prise d’émotion lors de son prix d’interprétation féminine pour son rôle dans l’Antichrist. J’applaudis Juliette qui reçoit le prix d’interprétation féminine le 23 mai 2010, ce qui fait d’elle la première femme à recevoir un prix d’interprétation. Roberto, quant à lui, me fait pleurer, en le regardant baiser les pieds de Martin qui lui remet sa Palme pour Grand Public. Je suis enivrée par la beauté de Sofia lors de son prix de la mise en scène pour Les Proies en 2017.

Carnaval des animaux

Ce sont sur ces quelques notes que le rideau se lève. La salle est à son comble, les invités sont prêts. Le grand écran se devine, venant habiller cette scène immensément vide. L’excitation de la découverte, l’émotion d’un tel lieu, tout cela et bien plus encore ne font que rendre ce moment aussi précieux qu’inoubliable. Le film est très représentatif du festival. Long, réaliste, humain… Une Affaire de Famille, film japonais, s’est vu être choisi parmi une vingtaine d’autres. Les lumières s’allument, doucement, ce qui nous permet de revenir à la réalité calmement. Je regarde une dernière fois en bas, là où des centaines de personnes, de nationalités différentes, se sont tenues, debout, remettant et recevant des prix dans des tenues clinquantes et livrant des discours engagés.

Avant de tirer ma révérence, je me permets un dernier court-métrage. En maîtresse de cérémonie, j’entends Mélanie et son discours plein de grâce et de pudeur. Je souris en écoutant le monologue raffiné d’Édouard, plein de sarcasmes, comme il les aime. Tout cela me fait perdre toute notion d’heures, de temps. Comme les autres, je finis par sortir. Puis, je m’autorise une nouvelle pause dans cet espace dont l’ambiance prend tout son sens à la sortie d’une projection. Sa neutralité chic nous permet de rêver encore un peu, de revenir doucement à la réalité, sans rien oublier de cette parenthèse filmographique dans laquelle nous venons d’être plongés.

…QUAND L’ACTUALITÉ S’INVITE A CANNES…

J’ai du mal à quitter cet endroit, j’ai du mal à sortir. J’ai du mal à redescendre les marches. Une fois dehors, ce ne sera que passé. Puis, prise d’un élan, je pousse la porte. La chaleur m’envahit. Je me trouve une nouvelle fois en haut de cet escalier, je m’offre encore une fois l’occasion d’arranger la réalité, ma réalité. En face de moi, 82 femmes magnifiques, toutes main dans la main, avançant vers moi, sous les lumières des photographes, sous les cris du public, sous mes yeux pleins de larmes. Dans les premières, je reconnais Cate et Agnés.

Les vingt quatre marches ne sont dorénavant plus que simple podium, permettant à chacune d’entre elles de briller au soleil. Avec un accent américain, voici la présidente du jury, tête haute, cheveux au vent, laissant deviner le début d’un discours. « Mesdames, Messieurs, Bienvenus« . Le silence se fait audible, la scène impose l’attention, l’évènement était inattendu. En se relayant, Agnès reprend les mots de Cate dans un français gai mais discret, tout comme elle. Toutes issues de l’industrie du cinéma, les voici réunies afin de dénoncer le manque de parité et de transparence dans ce milieu. Pourquoi sont-elles 82 ? C’est le nombre de films réalisés par des femmes, invitées à concourir en compétition officielle depuis 1946, contre 1 688 pour les hommes.

Le symbole est puissant, repoussant n’importe quelle frontière d’origine, de métiers, de classes sociales. En tant que femme, je ne peux qu’être reconnaissante par cet élan de force, de bravoure et de solidarité. Plus de cinq minutes de frissons. Dommage que cela ait eut lieu la veille, je me serai volontiers jointe à elles… Les caméras, les photographes, personne n’en a perdu une miette et le monde entier aura accès à ces images, qui deviendront, je l’espère, mythiques. La date du samedi 12 mai 2018 restera dans les annales du Festival de Cannes.

…TO BE CONTINUED…

C’était donc cela, la magie de Cannes. Bien plus que des strass et paillettes, au-delà du superficiel, à des années-lumière du manque de réflexion, tellement loin de toutes stigmatisations. L’excentricité, utilisée à bon escient, peut être une arme redoutable pour lutter contre toutes inégalités qui sévissent dans notre monde. Qu’elle soit utilisée à travers des films, ou bien glissée dans des discours comme celui-ci, l’important est la portée qu’on lui cède, l’impact qu’on lui autorise. Où de mieux qu’à Cannes pour surprendre, casser les codes et transmettre un message commun.

Bel inconnu, merci, sans toi rien de tout cela ne m’aurait été permis de vivre…

Agnès, merci pour ton talent que tu lègues en héritage au cinéma français. Merci pour ton combat que tu lègues en héritage à ce monde en parti féministe.

Cannes, merci de me permettre de te regarder sous un autre angle. Non plus à travers les yeux d’une petite fille ayant trouvé refuge dans une réalité fictionnelle quand le côté pragmatique de la vie fait mal. Non plus à travers les yeux d’une petite fille rêvant du jour où son prince lui rapportera son soulier oublié au bas des marches. Dorénavant, non seulement mon soulier, je n’en veux plus, du prince non plus d’ailleurs, mais je te regarde sous celui de l’engagement pour un monde meilleur… J’ai appris à mieux t’appréhender, à mieux te cerner. J’ai appris à mieux comprendre tes films, j’ai compris qu’il fallait que je creuse, que je gratte et que je réfléchisse. Malheureusement, aujourd’hui, je n’ai jamais vu aussi clair. Et, je ne peux fermer les yeux sur tout cet argent qui contribue à ta folie humaine, dont ton ampleur en est la cause ou la conséquence, ou peut-être bien les deux… J’ai saisi ton côté sociétal, humain et politique (même si tu le nies). J’ai compris que tu es intimement lié à l’actualité de ton pays, du monde, mais, dans tout cela, je cherche désespérément ta position écologique…

Mary Jane.

…Fin de la série…