Aujourd’hui, c’est un grand jour. Je vais enfin réaliser mon rêve, encore un, celui de sillonner un pays en voiture aménagée. Cette maison à quatre roues a été baptisée La Coloc Roulante. Pour ce faire, nous avons dû nous organiser un minimum. Allez, attache ta ceinture et viens avec nous…

…LES PRÉPARATIFS…

Pour la première sortie de La Coloc Roulante, nous avons choisi un pays limitrophe du nôtre, l’Espagne. Et pour que ce joli voyage reste un beau souvenir, nous voulions qu’il colle un minimum avec nos valeurs. En passant honteusement sous silence l’empreinte carbone que celui-ci devrait générer, nous mettrons les autres à l’honneur. Nous avons donc mis sous les feux des projecteurs, l’écologie et l’économie responsable, le local et l’utile.

En partant des Alpes, nous avancerons à notre rythme et prévoyons une vingtaine de jours la volée. Nous rechercherons des endroits en pleine nature pour les nuits, des lieux calmes et qui nous éviteront aussi des dépenses supplémentaires. La question de l’auto-suffisance est donc tout naturellement abordée. Nous devons donc être autonomes et indépendants, dans la limite du possible et pouvoir nous assurer de vivre loin de tout spot urbain, loin de tout lieu de consommation. Dans tout cela, nous n’oublions pas le but de notre voyage, qui est celui de découvrir un nouveau pays, de nouveaux paysages, de nouvelles cultures et traditions, le tout dans le respect et la discrétion.

Produits de récup, voilà que les supports pour la voiture sont prêts. Des planches en bois en guise de placards, de caisses, de rangements. Le moindre espace est optimisé. Le voyage a déjà commencé, depuis le moment même où il a été pensé. Le lit et le matelas sont aussi issus de seconde main. Dormir dans la voiture oui, mais cela ne doit pas forcément être désagréable. Une douche solaire et sa cabine, prêtée à titre gracieux, devraient nous accompagner sur tout le voyage. Très pratique quand il fait chaud, bon, il paraît que l’eau froide conserve… Après avoir pensé à notre confort, nous devions penser à notre alimentation. Consommer local oui, mais malheureusement, cela peut couter cher. Pots en verre, nous voici à les remplir de tous consommables qui occupent nos placards et avec lesquels nous pourrions cuisiner facilement. La Coloc Roulante se donne le droit d’interdire tout plastique à bord. Se transformer en itinérants ne veut pas non plus dire vivre de rien.

…LES DÉBUTS…

Et nous voici, en cette fin d’après-midi, à fermer à double tour notre chez nous et à laisser la clé aux voisins pour une durée plus ou moins déterminée. Notre quotidien nous permettant de le faire, nous savions que cette découverte allait être une expérience en elle-même. Un peu nerveuse je dois bien l’avouer, je me trouvais moins expérimentée que monsieur ne pouvait l’être. Bon et puis après-tout, nous verrons bien. Il est quasi certain que ce sera au fil des kilomètres avalés, des jours écoulés que nous peaufinerons tout cela, ensemble. Nous avons le minimum vital et pour tout le reste, se sera à nous de jouer.

Le mois de novembre n’est pas forcément le meilleur mois de l’année où il fait bon partir, mais râler serait une insulte à toutes les âmes ne pouvant se permettre de le faire. Après tout, nous devrions descendre vers le soleil et la chaleur… Dotés d’applications internet très utiles, nous partons à l’aventure sans pour autant être coupés du reste du monde. Autant notre voyage avait commencé depuis longtemps dans nos têtes, autant il prenait son envol pour de bon maintenant.

Le moment de passer à la pratique était là. Faire à manger, installer les rideaux, préparer le lit et penser aux commodités. L’histoire paraît plus sympa quand il fait quelques degrés de plus, quand nous sommes tous pourvus d’un pénis et que nous faisons vœux de ne plus avoir aucun secrets l’un pour l’autre. Pour mon baptême, la météo me gâtait. Pourtant, cela paraît simple et basique, si nous voulons manger, il faut se contenter de ce qu’il y a, si nous voulons dormir, il faut s’organiser afin de passer en mode nuit et si nous voulons aller aux toilettes, il faut faire preuve d’imagination. S’il pleut, il faut accepter et s’adapter. S’il fait froid, il faut aussi accepter et agir. Ne passez pas par la case glamour, vous ne gagnerez pas 10 000e.

…CET AIR DE LIBERTÉ…

Après notre première nuit, nous étions conscients que non seulement chacun devait trouver sa place mais aussi, que nous devions nous familiariser avec notre nouveau mode de vie. Passée cette étape, nous reprenions la route vers la suite du périple. Le plaisir de ne pas emprunter l’autoroute était là aussi une envie commune de prendre le temps, mais aussi de ne pas dépenser davantage. Cette liberté nous offrait la possibilité de frôler des yeux des endroits que nous n’aurions jamais vu autrement. Cette démarche nous emmenait aussi vers une prise de conscience sur le temps qui passe.

Ce mode de voyage nous permit aussi d’avancer en fonction de la météo. Flexibles, modulables, adaptables, aucune réservation ne nous freinait. Nous étions libres comme l’air. L’argent ne pesait presque plus dans la balance de nos choix. Au fur et à mesure du temps qui passait, je me rendais compte que ma notion du voyage changeait. Pour cette aventure, il ne s’agissait plus seulement de visiter des villes et d’en découvrir des nouvelles. J’étais sortie de ma zone de confort. Je vivais à la fois un voyage introspectif et extrospectif. Il n’était pas seulement question de bon temps, de dépaysement, mais de réflexion, d’organisation et de dépassement de soi.

Je n’étais pas passée de la case chez moi à un endroit qui y ressemble. Je passais de chez moi à quelque chose de différent. Je me retrouvais bousculée dans mes habitudes et ce, tous les jours. Je me surprenais à remettre en question tous mes gestes du quotidien. Je me rendais compte de la façon dont je menais ma vie. Je devais tout réadapter. Sur le papier, cela semble être une bonne chose, et cela l’est. Seulement, la remise en question est perpétuelle, sans arrêt, lourde, brutale et parfois même frontale. Mes nerfs étaient sensibles et ils ont été mis à rude épreuve. La fatigue, la perte de repères… Je ne me rendais pas compte mais je luttais, j’avais peur d’aller vers la liberté qui m’était permise.

…LA DÉTOX…

Je résistais. En plein dans la tourmente qui consistait à profiter de mon aventure, de notre aventure, de prévoir le lendemain, de gérer les gestes du quotidien, je ne le voyais pas. Je n’avais pas assez de recul pour me rendre compte. Il s’agissait d’une épreuve pour moi, encore une autre que je m’imposais. Pourquoi ? Pourquoi encore une autre ? Pourquoi après tous ces voyages qui ne m’ont pas ménagé, j’éprouvais encore l’envie d’aller plus loin…

Ma condition physique n’est pas des plus commodes pour vivre de la sorte. Par contre, ma tête bourrinait. Mes yeux n’en revenaient pas. Mes jambes étaient lourdes. Aller puiser au fond de soi une langue non pratiquée depuis quasiment une décennie, garder le rythme entre le mode jour et le mode nuit de la Coloc Roulante, passer de longues heures au volant, s’adapter en très peu de temps à l’endroit où l’on se trouve parce qu’on ne va pas rester… Toutes ces choses transparentes vécues au quotidien étaient éprouvantes. Je jonglais facilement d’une émotion à une autre. Je me réjouissais de vivre cette expérience, je me réjouissais de vivre cela avec la personne parfaite pour ce rôle, je me réjouissais de la chance que j’avais provoqué afin d’être là. Pourtant, à certains moments, quand la fatigue était trop présente, je voulais que cela se termine. Ce ne fut qu’à notre retour que je réalisais.

Dépendance : Fait d’être sous l’autorité, sous l’influence de quelqu’un ou de quelque chose, fait d’être conditionné. Détoxification : action de retirer son caractère toxique, sale ou chimique à quelque chose ou à un lieu. Voilà. Voilà pourquoi je ressentais encore le besoin de partir, de quitter ma zone de confort. Après chaque voyage, je rentrais en France. Je retournais vers mes petites habitudes qui relevaient la différence entre ma vie et mes voyages. Seulement, cette fois-ci, je ne veux pas. Je veux aller chercher plus loin, chercher plus haut. Je veux dézoomer encore et encore ma vision du monde. Je veux continuer à déconstruire ce besoin hypocrite qui persiste en moi. Je veux garder cette conscience qui m’aide à vivre mieux. J’ai comprit qu’en prenant davantage soin de la planéte et en vivant avec moins, indirectement, je pouvais mieux vivre. Mais, cette fois, pour ne pas replonger, j’avais un atout avec moi, je ne rentrais pas seule…

Mary Jane.