Stop, arrêtez, pause, je ne veux plus bouger, je ne peux plus bouger, je veux rester là, seule. Et encore tant de choses que je ressentais à ce moment-là mais, que je n’arrivais pas à exprimer. Voilà ce qui fût le début de ma quête du silence. Allez, viens, j’t’emmène découvrir le secret de l’Abbaye d’En Calcat…

…EN ROUTE VERS LUI…

Je n’avançais plus. Je n’entendais plus rien. Je n’étais plus à ma place. Je ne m’y retrouvais plus. Au fond de moi, je ressentais ce besoin qui devenait de plus en plus vital, le silence. Seule, voilà à quoi je rêvais, sans personne à qui parler, sans personne avec qui partager, sans personne envers qui me justifier, sans personne à qui expliquer mes choix, mes idées, mes envies, mes besoins. Je ne voulais plus réfléchir, je voulais juste me rendre compte du temps qui passe, une chose qui semble être un luxe de nos jours. Je devais me retrouver seule avec moi-même, face à moi-même.

C’était une journée d’hiver. Ce matin-là, je me levais avec ce sentiment de découverte, d’escapade, de liberté. Je ré-ouvrais mes valises, je les remplissais et je les chargeais dans la voiture. Pas de billets en main, ni de tickets, juste une adresse à entrer dans Waze. Le soleil m’accompagna sur tout le trajet. Les feuilles mortes me déroulaient un tapis naturel aux couleurs automnales. Les petits villages traversés étaient déserts. Malgré la température extérieure, cette petite balade bucolique me réjouissait.

Excitée, j’étais si heureuse de ressentir à nouveau ces émotions. Je partais vers un endroit inconnu. J’en connaissais le contexte, mais je ne savais pas réellement ce qui m’attendait. J’avais des attentes. J’avais des envies. Malgré tout, j’appréhendais la déception, la confrontation, l’ennui. Cependant, au fond de moi, mon besoin de spiritualité, de calme, de retour à l’essentiel était tellement fort que je me sentais, dans le fond, sereine. Je repartais en voyage, j’étais en route vers le silence…

…MA RENCONTRE AVEC LUI…

J’arrivais avec la nuit. Je venais de m’enfoncer dans la campagne tarnaise. Sur mon passage, je découvrais des maisons typiques, aux briques rouges apparentes, dont la fumée des cheminées s’échappaient. La nuit était tombée petit-à-petit, m’accompagnant sur la fin de ma route. J’étais témoin du brouillard, épais, qui recouvrait doucement les champs. Je me trouvais dorénavant au pied de la montagne noire. Durant le trajet, j’avais eu le temps de me préparer. Même pas arrivée, je sentais déjà ma spiritualité monter en moi. J’étais prête pour vivre une retraite, ma retraite.

J’y étais. Je regardais autour de moi, la nature, des arbres, un parc, des allées légendées par des petits panneaux de bois et un ensemble de bâtiments construits en pierres grisonnantes. L’Abbaye Saint-Benoit d’En Calcat était dressée devant moi. Élégante, telle un petit château à l’écart des regards, à l’écart du monde, m’accueillit. Je suis intimidée. J’avance avec prudence, y aurait-il des gargouilles ? Me rendre sur un lieu saint, rempli de religion me faisait me sentir illégitime. Sur la réserve, je me présentais à l’entrée de l’hôtellerie.

Grand, discret, vêtue de son habit, un moine me reçut. Assis à son bureau, il m’attendait. Etais-je encore une fois en retard ? « Ne vous inquiétez pas, je vous attendais ». Gênée, je tenais absolument à aborder le sujet qui me rendait mal-à-l’aise. « Ne vous inquiétez pas, ici, nous accueillons tout le monde, l’important est le respect, la tolérance et l’amour, la religion est une affaire personnelle. » A peine eut-il le temps de me montrer ma chambre que j’entendis retentir une cloche. « Ne vous inquiétez pas, elle sonne la fin de la messe et qu’il faut se rendre au réfectoire ». Tel un courant d’air, il disparut comme un fantôme. Il était 18H57. A peine arrivée, me voici plongée en plein dans ce pourquoi j’étais venue. Pas le temps de défaire mes affaires, je devais me rendre dans la salle des repas. J’allai rencontrer le silence…

…FACE A LUI…

Je venais de m’embarquer dans une aventure qui me réjouissait au plus profond de moi. Me retirer, rester seule, être passive, sont des états que je connais, que je pratique et dont j’ai besoin. Cependant, avant d’arriver, j’avais des doutes sur mes capacités à rester sans parler sur la durée. Bannir la parole en tant que langage me paraissait compliqué, frustrant et handicapant. Pourtant, je ne ressentais aucune autre envie au fond de moi que celle de vivre cette étape. Je sentais que le moment était venu pour moi de me retrouver face au silence, face à moi-même.

Manger en silence avec des étrangers, tout en écoutant des textes lus par des moines qui partagent leur repas dans une salle à part, est une expérience intimidante mais tellement riche. Le manque de parole m’obligeait à communiquer autrement. Mon sens de l’observation fut décuplé très rapidement. Et, aussi surprenant que cela puisse paraître, la communication était beaucoup plus simple, voire plus saine. Nous allions à l’essentiel. Peu importe nos ages, nos différences. Nous étions tous ici par choix, pour une raison qui nous était propre et intime. Nous nous considérions en tant que femmes et hommes et non pour notre histoire, notre rang social, ni nos idées politiques.

Mon comportement envers les autres était le même que celui que j’appliquais envers moi-même. Au fur-et-à-mesure, la légèreté me gagnait, mes idées étaient plus claires. Finalement, je me rendais compte que j’étais loin d’être inactive. Si je ne bougeais pas, je pensais. Si je ne pensais pas, je tentais d’entrer en communication avec les autres. Chose que j’évitais au maximum bien entendu. La culpabilité était loin de moi, je me consacrais du temps, j’étais seule et ne devais de compte à personne. Je pouvais choisir entre papillonner ou cogiter. Je m’autorisais même d’aller au-delà et de penser que j’étais en train de penser. Bref, je m’offrais un temps de pleine conscience qui me permit de me recentrer.

…VIVRE AVEC LUI…

Le reste du temps, chacun vaquait à ses activités. La marche, le repos, le travail, la réflexion. Le parc de l’Abbaye permet de vivre cette retraite dans un cadre exceptionnel. La nature étant un ingrédient indispensable à cet exercice de l’âme, tous les éléments étaient réunis pour que je passe un séjour parfait. Je me surprenais parfois à rester assise sur un banc, dans le froid, celui au fond du parc, caché par des bambous, offrant un panorama sur une campagne sage, endormie sous la gelée et étincelante sous le moindre rayon de soleil. J’avais signé pour cinq jours, j’en ai rapidement demandé un de plus. Paradoxalement, je ne voyais pas le temps passer alors que je n’avais jamais été aussi consciente de son écoulement. Mes journées étaient bercées par un rythme naturel et celui des moines.

Cette retraite étant basée sur le volontariat, rien n’était obligatoire, sauf les moments de silence, bien sûr. J’associais cela à un travail de concentration. Après preuve de ma facilité à m’y accommoder, voici qu’un autre effort m’était réclamé, par mon corps cette fois-ci. Le besoin de me dépenser, de me défouler, de trouver une autre liberté. C’est à ce moment-là que j’ouvris les portes de l’Abbaye pour aller explorer le monde extérieur, seule. Je découvris Dourgne, le petit village tout proche de là. Je chaussais mes baskets pour une balade matinale à la Capelette, petite église perchée sur les hauteurs et qui offre un panorama époustouflant. Croiser des ânes, d’autres pensionnaires ou des moines n’était pas exclus, mais toujours en silence.

Je n’en étais pas fatiguée. Je me sentais même bien. Je profitais de tout instant et l’honorais en profitant du moment. Je prenais le temps de faire attention à ce que je mangeais, ou plutôt à ce que les moines nous servaient. Tout est cuisiné ici, tout est local, tout est de saison et il n’y a aucun gâchis. Je faisais attention à mes envies, je m’écoutais davantage. J’avais cette impression de vivre… Je pensais perdre mes repères encore davantage, bien au contraire, je fis la rencontre de mon cycle naturel. J’étais rendue tellement loin de toute superficialité, de tout superflu. Une certaine légèreté me gagnait. J’avais cette impression de me découvrir, de me respecter, de relier mon corps et ma tête. De part ce silence, j’avais ralenti mon rythme, je l’avais rendu plus humain, en accord avec la
personne que je suis et que je veux être. Je me sentais silencieusement équilibrée. Cela valait pour moi, pour une semaine, mais eux, comment faisaient-ils pour vivre toute une vie avec lui ?

…EUX ET LUI…

Pendant tout ce temps de silence, mes réflexions ne tournaient pas qu’autour de moi-même. Je nourrissais tant de questions, tant d’interrogations, tant de curiosités… Que je me sentis soulagée lorsqu’une personne bienveillante m’offrit de son temps pour y répondre. Je ne lui donnais pas beaucoup plus que mon âge, que je ne révèlerais pas bien entendu. Etait-ce cette proximité qui me fit oser ? Etait-ce ce manque de paroles qui me rendit bavarde ? Quoi qu’il en soit, il me raconta…

« Il faut savoir qu’il existe plusieurs ordres religieux. L’Abbaye d’En Calcat est une congrégation Bénédictine. Nous partageons les valeurs catholiques mais nous suivons un courant particulier. Il en existe d’autres tels les Chartreux ou les Dominicains par exemples. Notre particularité est de vivre nos journées en suivant le message de Saint-Benoît. Nous recherchons Dieu dans l’humilité, l’obéissance et le silence.

A partir du moment où nous arrivons à l’Abbaye, nous nous créons une famille. Chacun d’entre nous met son talent au profit de la communauté, tous nos biens aussi. Nous nous considérons énormément et faisons preuve d’un grand respect les uns envers les autres, spécialement envers les plus âgés. Nous cuisinons, nous jardinons, nous lisons, nous prions bien sûr. Puis, nous avons nos temps de prières ensemble à l’église. Nous sommes organisés comme une petite entreprise finalement. Notre librairie, qui est aussi riche de livres non religieux, nous permet de pouvoir participer à un marché local mais aussi de préserver cet héritage immobilier, l’hôtellerie aussi. Vivre ici, en congrégation, est un choix de vie, c’est un chemin ».

…REPARTIR AVEC OU SANS LUI…

Six jours qui me parurent une éternité. Ce que je vécu ici était une de mes plus belles et intenses expériences. Je quittais ma chambre, composée d’un lit, d’un bureau, d’une salle d’eau et d’une vue sur le parc. Dire que j’eus manqué de quelque chose aurait été, pour la peine, un énorme blasphème.

Cependant, avant de partir, je décidais, par respect, par curiosité peut-être aussi, d’assister aux différents offices donnés par les moines. Nommés Offices Liturgiques, ces temps de prières sont considérés comme des repères temporels pour les moines mais aussi, une occasion de se retrouver avec leur dieu tout au long de leur journée. Au nombre de six, il y a les Laudes, la Messe, la Sexte, la None, les Vêpres et les Vigiles. Surprenants, captivants, envoûtants, ensorcelants, les chants de ces deux groupes d’hommes se faisant face, offrent une dimension magique, religieuse pour ceux pratiquant, spirituelle pour les autres.

Ce matin, j’étais prête. Je n’étais pas prête à rentrer mais, j’étais prête à partir. Ce que je vécus ici est à mi-chemin entre la parenthèse et la transition. Je sens au fond de moi que cela n’a fait office que de pansement. Je sais que pour arriver à atteindre ce que je cherche, il me faudra plus de temps. Cela n’empêchait pas que je reparte avec beaucoup de réponses, en plus d’avoir perçé, dans les grandes lignes, le secret d’une vie de moine. Mais, le plus gros secret que j’avais finalement comprit, c’était le mien. Le silence fait parti de moi. Il me permet de créer un lien d’équilibre entre mon esprit et mon corps. Ce fut une leçon de vie que je ne suis pas prête à oublier et que je pense déjà à renouveler… Finalement, s’accorder des moments de silence ne serait-ce pas tout simplement s’accorder du temps pour soi ?

Mary Jane.

Mary Jane.