Aujourd’hui, c’est le 8 mars. Bon, on va pas rabâcher mais, c’est un peu la journée internationale des droits des femmes. Une femme, jusqu’à preuve du contraire, j’en suis une, mais là n’est pas le point. Non. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a quelques mois, j’ai eu l’idée folle de venir vivre à la montagne. Alors, pour cette journée particulière bourrée d’énergie, ne pouvant participer physiquement à un de ces magnifiques rassemblements, j’ai demandé en interne, à ce que le déroulement du jour me soit dédié.

…UN PARI PRESQUE GAGNE…

Pleine d’espoir, j’impose tout d’abord une grasse matinée. J’interdis formellement à quiconque présent dans notre maison du bonheur de bouger le petit orteil avant 10 heures. Pas hyper facile, mais ça passe. Ensuite, j’impose l’option « on va au marché ». Encore là, pas trop d’objections. Je limite la casse. Je profite de ce début de journée, sous mes couleurs, synonyme de relax attitude. Le soleil brille, le ciel est bleu, la température extérieure est positive… What else ?

Et c’est bien là que l’histoire se corse. J’ai réussi à maintenir une vitesse digne d’une personne du 5e âge, je savais bien au fond que cela ne pourrait durer. Après avoir fait des provisions pour le super pique-nique en pleine nature de ce midi, nous retrouvons la maison.

En tenue chaude de marche, nous voici dans la voiture, raquettes dans le coffre. Malgré mon envie très claire, je ne pus résister longtemps à l’appel incessant de monsieur. « Mais si, tu vas voir, marcher avec des raquettes, c’est facile, et puis en plus, c’est beau là où on va ». Conversation stérile, perdue d’avance, je ferme la portière et regarde le paysage à travers la fenêtre.

…FAIRE DES RAQUETTES, C’EST LA FÊTE…

Après plus de 40 minutes de route, 400 virages et une nausée quasi-permanente, me voici les pieds dans la neige. J’ai chaud avec toutes ces couches. Malheureuse, je ne dis rien, je sais qu’on ne va pas me louper… Il est 13 heures, j’ai faim. Malheureuse, je ne dis rien non plus, je sais qu’on ne va pas me louper… Il est temps d’attacher ces deux plaques à mes chaussures. Je ne comprends pas le concept. Mais déjà, je n’arrive pas à les faire tenir. Là encore, malheureuse, je ne dis rien, je suis certaine qu’il ne me loupera pas. Bref…

Ça y est, le périmètre est sécurisé, je peux avancer. Heu… En fait, non. Comment on marche avec ces trucs là ? Faut traîner les pieds ? Faut lever les pieds ? Et les crochets horriblement effrayants sur le bout, c’est pour escalader le mont-blanc ? Non parce que moi, à la base, j’avais juste demandé une journée cool, simple, facile, une journée comme je les aime quoi.

Bon, cette fois, je pose les questions. Mais, celle qui me semble la plus percutante est « Comment on est censé marcher avec ces planches accrochées à mes pieds ?? ». « Oublies le style, marcher avec des raquettes aux pieds, tu vas ressembler à un gorille ». Parfait. J’adore. On parle d’aller vivre sur Mars, on marche sur l’eau, mais en 2020, il n’y en a pas un qui a été foutu de révolutionner ce système. Je regarde autour de moi, personne. Je commence donc à avancer avec cette démarche aussi horripilante que non-pratique. Puis, je lève la tête.

DÉSESPOIR…

Il m’a vu. Il m’a vu regardé droit devant moi. Il a vu que j’avais compris jusqu’où il voulait que l’on aille. Silence. Je ne dis rien, lui non plus. A ce moment-là, il aurait dit un mot, c’est lui qui aurait été malheureux ! Je me démène comme je peux. Bien sûr, 300 km plus loin, monsieur s’extasie. Je l’entends marmonner que la journée est magnifique. C’est le temps idéal pour une première fois en raquettes. Toutes les conditions sont réunies. Et blablabla…

Je me traîne. Il fait une chaleur à crever. Loin de la simple transpiration, je suis en nage. J’ai l’impression de peser une tonne. Mon manteau attaché à la taille ne fait que glisser. Je ne supporte même plus la polaire. Qu’est-ce que c’est chiant. On est à la montagne en plein mois de mars, entouré de neige et il doit faire pas loin de 19°. Oh non, j’ai oublié la crème solaire. Quand je pense à ma future trace de bronzage, je suis dégoûtée. La première est fatale, je le sais et j’ai tout gâché parce que personne ne m’avait prévenu qu’il allait faire si chaud. J’ai faim. J’ai soif. J’ai envie de faire pipi. Je marmonne dans mon coin. De toutes façons, je pourrais me parler à voix haute que personne ne m’entendrait tellement je suis derrière.

Sans déconner, j’avais espéré faire autre chose de ma journée que de me prendre pour Bambi à gambader dans la neige, qui soit dit en passant, colle à mes planches plantaires. « Mais regarde comme c’est joli ». Oui, oui, c’est joli. Bon, on voit un peu la même depuis la maison, mais bon. Je continus. Je glisse. Je m’enfonce. Comme j’ai peur de tout en ce moment, c’est une vraie partie de plaisir. Enfin, on a le droit de toucher au pique-nique. J’ai la dalle. J’ai l’impression de m’être urinée dessus tellement j’ai trimé pour en arriver là. Je regarde monsieur faisant une démonstration de déneigement avec sa jolie petite pelle bleue. « Regarde, elle est même pliante ». Et voilà comment en un temps record, j’ai failli me retrouver sans tête, ou sans yeux, ou sans les deux. La pelle volante, vous connaissez ? Maintenant, moi oui…

LE 8 MARS 2020…

Je lève enfin les yeux. Je les vois, immobiles. Hmmm. Est-ce bon signe ? Après une éternité, j’arrive à leur niveau. De toutes façons, je ne ferai pas un mètre de plus. Je reste immobile à mon tour. Je n’avais plus envie de râler. Je n’avais même plus envie de parler. En fait, je n’avais plus de mots. Ce paysage enivrant, cette vue de malade, c’est comme si en quelque sorte, il était question de mérite.

Alors, le plaisir procuré par les paysages, c’est un peu comme avec les médicaments. Ceux qui soignent naturellement sont les plus souvent dégueulasses, tout comme les vues imprenables, pour les voir, il faut trimer ! Et puis, durant le temps du retour, qui s’apparentait à un temps incessant de crispation et de descente sur les fesses, j’ai eu le temps de comprendre. Ce n’était peut-être pas une journée à marquer dans les annales, mais elle correspondait bien à ce 8 mars. Je suis une femme. J’ai des droits. Si je n’avais pas persévéré pour arriver au sommet, je n’aurais jamais ressentit ce sentiment de liberté. Si je n’avais pas été poussé, ni supporté, je n’aurais jamais su, jamais vu.

Petite morale perso, ne change pas, râle, ris, voyage ou fais des trous dans la neige si cela te rend heureuse ou heureux, mais ne t’arrête pas. Vas toujours plus loin, toujours plus haut et surtout, vas là où tu penses être ta place. Entoure-toi de bons partenaires, continuons ce combat vers cet objectif commun qu’est (entre autres) l’équité et fais de chaque jours de ta vie un 8 mars. C’est ensemble que nous brillerons tel un flocon de neige au soleil.

marie B.