Samedi 8 Décembre 2018. 14h00. Toulouse. Allez, viens, j’t’emmène…

…ENGAGEMENT, QUAND TU NOUS TIENS…

La marche pour le climat, voilà la raison pour laquelle j’étais prête à tenir tête au froid, à quelques gouttes de pluie et à rester debout dans les rues de la ville rose en ce deuxième samedi de décembre. Le motif de cette manifestation devait m’être cher pour que j’entreprenne un tel déplacement. L’actualité de ces derniers jours était loin d’être rassurante, ce qui me rendait un peu anxieuse face à la tournure que pouvaient prendre les choses. Consciente du petit risque que je prenais à me rendre là, ma conscience écologique et mon engagement pour toutes les générations confondues et pour moi-même, se montraient bien plus forts. Je devais être présente, il s’agissait là tout simplement de mon acte « citoyenne du Monde ».

À l’heure pour ce grand rassemblement national, je savais d’avance que je ne serai pas uniquement entourée d’âmes écolos. Arnaud Bernard, le point de rendez-vous. Je vis des points jaunes à perte de vue, rassemblés sur le Boulevard Lascrosse, un des axes principal de la ville. Certains tenaient des pancartes ou faisaient flotter le drapeau français, d’autres étaient habillés de blanc représentant le corps médical, des étudiants venus clamer leurs peurs concernant leur avenir, des retraités chantonnaient la Marseillaise… Bref, je me trouvais au milieu de femmes, hommes, enfants, jeunes, moins jeunes, d’une représentation d’un peuple, le mien.

…PAS N’IMPORTE QUEL CLIMAT POUR CETTE MARCHE…

Malgré le froid, l’ambiance était bonne. Les gens chantaient leurs slogans, certains osaient l’entamer sur un air de « Petit papa Noël ». Beaucoup avaient répondu présents. Finalement, peu importaient leurs revendications personnelles, nous étions tous ensemble, dans un but commun de communication afin d’aller vers un avenir meilleur pour tous. La bonne franquette me semblait être le mot d’ordre du jour, comme on aime à le dire dans cette région de France où l’accent chantant peut apporter un peu de lueur dans un ciel nuageux.

Dés mon arrivée, je me souviens avoir remarqué plusieurs personnes avec des masques sur la tête, des lunettes de piscine, des écharpes pour se cacher la moitié du visage… Inhabituée des manifestations, je me souviens, un peu honteuse, m’être dit à moi-même : « En voilà qui ne vont pas se montrer très calme aujourd’hui… ».

Décidée à me fondre dans le cortège, au bout de quelques mètres, je revenais sur mes pas afin de retrouver une amie. Mais, je ne pus. Des CRS m’interdirent formellement de faire demi-tour. J’étais coincée. Je n’avais aucun autre choix que celui de continuer ma route vers cette foule. Poliment, je m’adressais à eux afin d’être sûre de bien comprendre. Impossible de revenir sur mes pas, impossible de changer de cap, impossible de retrouver des amis, impossible. En deux temps, trois mouvements, nous étions confrontés à une ligne d’hommes en tenue de combat, munis de casques, de matraques et de boucliers. Je me suis sentie prise au piège, comme tous mes autres voisins qui se rendirent compte de ce qui était en train de se passer, en même temps que moi, trop tard.

Des véhicules de police venaient de faire leur entrée, des voitures avec gyrophares arrivèrent en trombes, les Compagnies Républicaines de Sécurité se mirent en position. Mais en position de quoi ? Moi qui n’osais plus trop bouger, j’observais la scène. Un homme. Un coup de sifflet. Le top départ venait d’être lancé. Moi qui venais avant tout participer à la marche contre, notamment, le réchauffement climatique, voilà que les forces de police venaient de mettre le feu aux poudres. Le climat de cet après-midi n’était plus le même et il n’était pas prêt, comme celui de notre planète, de se refroidir.

…DEUX GROUPES, UN SEUL PAYS…

Suite à ce coup de sifflet, voici les représentants de la loi avancer vers nous, comme des robots, comme pour nous déloger, comme si nous faisions quelque chose de mal. Mais, d’aussi loin que je me souvienne, manifester est un droit reconnu par le Code Pénal, non ? Me voilà en plein doute : cette manifestation aurait-elle été refusée par les autorités ? Car, si cela est le cas, notre présence n’est pas appréciée. Aucun dialogue n’était possible. Était-ce réellement une bonne manière d’agir ? Leur attitude sonnait comme le signal d’une attaque. Feintant, je trouvais une issue qui me permis de me dégager de ce mouvement tout sauf libre. Quelques-uns tentèrent d’échanger, de discuter, de comprendre pourquoi ils agissaient comme tels alors que le moment était bon enfant. D’autres les invitaient à baisser leur casque, leur disant que personne ne voulait de la violence, que nous étions tous dans la même galère. De par leur silence, j’eus peur de voir le paysage changer et se transformer en champs de bataille. Heureusement, personne ne perdit son sang-froid…

Contre toute attente, quelques secondes seulement après la mise en marche des CRS, un bruit assourdissant venait préoccuper la foule, une détonation. Je vis une jeune fille arriver en courant, elle pleurait… Interrogative, je pris la direction de l’agitation. J’eus la joie de sentir une odeur inconnue, de me retrouver au milieu d’un nuage de fumée. Je ne pouvais plus respirer, je ne pouvais plus rien voir, mon visage tout entier me démangeait. Je venais de faire connaissance avec le gaz lacrymogène. Beaucoup, surpris, couraient afin de se mettre à l’abri, d’autres avaient déjà prévu le coup et avaient enfilé leur attirail. Ils étaient les seuls à pouvoir continuer à tenir tête à ces êtres humains que nous avions en face de nous. Je compris donc pourquoi beaucoup étaient arrivés dans de tels accoutrements, dans le meilleur des cas, il ne s’agissait que d’assurer leur propre sécurité.

Un simple coup d’œil me permit de paniquer un peu intérieurement. En nombre, le calcul fut vite fait, ces soldats ne faisaient pas le poids. Pourquoi avoir fait cela ? Pourquoi avoir lancé l’assaut ? Pourquoi avoir cherché à faire bouger les choses alors que les mots paix et dialogues se lisaient sur les lèvres ? Pas de réponses concrètes à apporter, juste des suppositions entendues dans le cortège: « Ils cherchent à nous provoquer », « Ils cherchent une bonne raison pour nous foutre sur la gueule », « Ah, ce sont les ordres du jour, abattre le petit peuple », « Ils cherchent à nous provoquer pour que nous ripostions avec violence afin de leur donner raison et de discréditer notre mouvement »… Le moment que je redoutais tant était en train de se produire. Je me trouvais entre deux groupes, les forces représentantes de l’état sur ma gauche, le peuple sur ma droite.

…UN SAMEDI APRÈS-MIDI SUR TERRE…

Face à leur comportement, à leur absence totale de communication, certains choisirent de se rebeller en mettant le feu à des poubelles afin de créer des barricades. D’autres tentèrent de répondre par la même violence, en leur envoyant des pétards ou autres objets. La plupart restaient abasourdis par ce qui était en train de se dérouler. Malgré les allers et venues de certains policiers en civils à fond sur leur moto au milieu de ce paysage chaotique, je décidais de rester, de vivre ce moment, de le voir de mes propres yeux.

Toujours sous le bruit sourd des jets de gaz, les gens s’étaient dispersés. Mais, j’entendais que d’autres groupes se trouvaient dans le même cas que nous ailleurs, en ville, ailleurs en France. Je pris de l’avance, guidée par les bruits des armes tirées par les agents de Police. Le pont des Catalans presque atteint, je découvris une zone de conflit, où des personnes beaucoup plus expérimentées, préparées que moi faisaient face à cette ligne d’hommes en noir. J’eus juste le temps de faire un état des lieux que je me retrouvais encore une fois ensevelie sous cette épaisse fumée grisâtre.

Mêlée à la foule, je remontais cette marée humaine dont j’étais incapable d’en donner le nombre. Après m’être assurée une bonne distance entre eux et moi, je continuais de traverser le pont jusqu’à arriver au niveau du musée des Abattoirs, jusqu’à sentir un changement radical d’ambiance. Je venais de quitter un climat pesant, voire effrayant et ce que je voyais à présent devant mes yeux me donnait une impression surréaliste. De la musique, de la bonne humeur… Venais-je de traverser un portail temps ? Je retrouvais ce que j’avais laissé quelques heures plus tôt. Le paradoxe semblait tellement dur à comprendre que j’avais envie de leur crier : « Préparez-vous, ils arrivent ! ». J’imaginais le massacre, face à tous ces gens loin de voir ce qui allait survenir, trinquant à l’amitié tout en gardant au centre des conversations, le pourquoi de leur présence ici.

…LA CASSURE…

La musique s’interrompit brutalement. Tous les regards se tournèrent dans la même direction, vers le pont. De loin, la ligne noire, suivie de leurs camions, fourgons et voitures, se dessinait à l’horizon. Ils avançaient, ils arrivaient, ils étaient presque là. Le brouillard qu’ils nous jetaient dessus rendait la scène encore plus forte, plus perturbante. Les esprits commencèrent à prendre conscience que la situation pouvait, encore une fois, dégénérée alors que rien ne le justifiait. Certains prirent position en tête de cortège afin de se défendre, afin de montrer le refus de reculer encore plus loin. Les coups de gueule se firent entendre tel que « Macron, démission » et j’en passe…

Le regard des gens était mêlé entre incompréhension, colère et écœurement. Des violences, il n’y en avait pas eut, du moins, pas là où je me trouvais. Les seules scènes à déplorer n’étaient que des réponses maladroites face au comportement de ceux qui se trouvaient en face de nous. Ils n’étaient clairement plus là pour nous protéger, ni pour faire en sorte de contrôler des situations à tendances dégénératives, non. Ils étaient là contre nous.

Malgré la nuit qui tombait, le froid qui s’installait et qui commençait à nous pénétrer suite à notre immobilisme, je restais. Et pendant ces longues minutes où j’observais ce qui se passait tout autour de moi, je réalisais que durant tout ce temps passé dehors, je n’avais, à aucun moment, véritablement manifesté. J’avais été trimbalé, j’avais été choqué, j’avais été gazé, on m’avait mené la vie dure pendant de longues heures, mais au final, pourquoi ?

…LA MORALE À CETTE HISTOIRE…

Après ce constat sinistre, je commençais à m’éloigner. Mon acte civique, à mon sens, je venais de le faire. Mais, au fond de moi, je n’étais pas satisfaite. J’étais même triste, à la limite de la colère. Je rentrais les bras tombant, le cœur lourd, les yeux pleurant, les oreilles sifflantes. Je ne comprenais pas vraiment ce qu’il venait de se passer. Je n’arrivais pas à mettre des mots sur ce que je venais de vivre. Des images de fin du monde me restaient en tête. Au fond de moi, j’étais révoltée mais reconnaissante. Car, en ayant vu le nombre de personnes mobilisées dans la rue ce jour-là, les choses auraient pu prendre un caractère beaucoup plus important, plus lourd, plus grave.

Des risques, j’en ai pris des petits, mais, je ne regrette rien. Je compris ne plus devoir me fier à ce que j’entends à la radio, à ce que je vois à la télévision, à ce que l’on veut faire dire d’une photo… J’ai vu ce qu’il s’est passé, j’y étais et je témoigne. Ne comprenez aucune prise de position politique, n’y voyez aucun mépris non plus. Rapporter des faits tout en restant neutre n’est pas chose facile, mais j’espère qu’à travers mon récit, vous aussi, vous garderez le bénéfice du doute en recevant vos informations…

Malgré tout, l’écologie et le climat resteront des motifs de manifestations primordiaux à mon sens et je continuerai à me battre pour notre planète.

Mary Jane.