…TANNA, LES PREMIERS PAS…

Notre première nuit fût marquée au fer rouge. Logées dans un quartier de Port Vila, la capitale de l’archipel, la plus grande ville de l’île d’Efaté, nous ne faisons que passer. Entre araignées, souris et chiens, la nuit fût courte et je ne vous parle pas de la douche… Mes nerfs sont un peu à vifs, j’ai vécu, ressenti, vu beaucoup de choses en très peu de temps. Ce n’est pas si facile de se prendre pour une exploratrice. Malgré tout cela, je suis soulagée et même enchantée de voir que nous nous entendons bien. Nous ne nous ressemblons pas pour autant, mais à ce stade du voyage, il y a moyen que nous formions un très bon duo.

Ce matin, nous reprenons la direction de l’aéroport pour nous envoler vers Tanna, l’île volcanique par excellence. Rien que le nom me fait rêver. Le trajet en avion se veut être court et remuant, nous offrant un petit échantillon visuel de cette nature. Pas plus de 50 km de long, pas plus de 20 km de large, ce petit bout de terre nous donnera de jolis frissons lorsque nous apercevrons la piste d’atterrissage. Située juste à la limite avec l’eau, le pilote a intérêt de nettoyer ses lunettes, le petit bout de goudron ne nous autorisera pas de seconde chance. L’aéroport est encore plus petit que celui de Port Vila, mais il ne nous exemptera pas pour autant de la taxe de passage que nous devrons payer.

Une fois à l’extérieur, nous rencontrons un couple français en vadrouille, sans logement pour la nuit. Nous attendons Fred qui doit nous récupérer pour nous amener à notre logement, pour nous amener chez lui. Fred est en retard. Avec aucun moyen de le joindre, nous patientons sagement jusqu’à ce qu’une voiture de police croise notre chemin. Tout le monde connaît Fred ici, tout le monde se connaît. Voilà comment ils ont pu nous dire qu’il était en chemin. Ils nous disent qu’il y a eu des pluies torrentielles ces derniers jours et que certains chemins ont été bloqués. Mais il va arriver…

…TANNA, FRED, EUX ET MOI…

Et, ils avaient raison, Fred est arrivé. Perché dans son pick-up, il est venu nous récupérer avec son fils. Le sourire jusqu’aux oreilles, les yeux brillants, il parle anglais et je comprends qu’entre eux, ils parlent un créole Franco-Anglais. Mais, il me précise qu’il existe plus d’une centaine de dialecte partout ailleurs. L’intérieur de sa voiture lui ressemble, coloré, décoré d’objets en tout genre, avec un klaxon tout sauf discret, comme son rire d’ailleurs. Sur le tableau de bord, je remarque un Iphone, son objet de travail me dit-il… Fred est jeune, mais je suis dans l’incapacité totale de lui attribuer un age. Bêtement, je me surprends à penser que si cela se trouve, il ne le sait même pas lui-même… Tentant le tout pour le tout, nous lui demandons s’il y aurait de la place pour loger nos deux nouveaux amis. Voilà comment nous nous retrouvons à 6, un poil serrés mais heureux, en route vers l’aventure.

Nous remarquerons très vite que le sol de l’île est entièrement noir. Fred nous explique que cela est dû au sable volcanique recraché par le volcan Mont Yasur. Voilà une des particularités de cette île située au sud de toutes. Elle possède un volcan encore actif, attraction principale du lieu. Connaissant la surface de l’île, je m’attends à arriver sans trop tarder. Mais, ici, l’espace-temps est un facteur subjectif. Nous roulerons certainement plus de deux heures trente avant d’arriver. Fred nous fait découvrir la musique locale, qui ressemble beaucoup au reggae entendu en Nouvelle-Calédonie. Les couleurs de Bob Marley sont un peu plus discrètes mais bien présentes aussi. Quant au paysage extérieur, il est à couper le souffle. Les tropiques, ici nous sommes.

La ville attenante à l’aéroport ne possède pas de routes goudronnées, les maisons sont pour la plupart rabibochées avec des plaques de taule ou autres matériaux « pansement ». C’est là que je vois de mes propres yeux les désastres liés aux nombreuses catastrophes naturelles dont cette île est victime, son peuple aussi. À chaque fois, tout est soufflé, tout est balayé, tout est cassé. Ils perdent tout. Raison de plus pour continuer à vivre avec peu… Après nous être arrêtés faire une course dans un petit boui-boui, nous voici avec du pain sucré entre les mains. Les papilles sont aussi du voyage…

…TANNA, NOUS VOILA…

La terre est initialement argileuse et aujourd’hui, elle est boueuse, spongieuse, la pluie était bien là ces derniers jours. L’atmosphère me paraît lourde. J’ai l’impression que plus nous pénétrons dans les terres, plus l’humidité est présente. Nous croisons une ou deux voitures, mais les véhicules restent un luxe que beaucoup ne peuvent se payer. L’île me semble peu peuplée et pourtant, les tribus sont bien là, à l’abri des regards. Les chemins sont quasiment inexistants, voire défoncés, le 4w4 est indispensable.

Effectivement, cette île est sauvage. Malgré quelques villages, quelques tentes d’associations humanitaires et quelques lieux de cultes rencontrés sur notre passage, la nature est un véritable joyau. De la jungle aux plantations, des cocotiers aux lianes, des oiseaux multicolores aux serpents, je ne sais plus où donner de la tête. Le seul hic du moment est mon état. Nauséeuse, je comprends que cela est dû aux médicaments que je prends justement pour ne pas être malade, afin de me protéger contre le palu… Entourée d’infirmières, après une lourde réflexion, je prends un risque supplémentaire, celui d’arrêter le traitement.

Puis, le paysage change. Nous nous rapprochons du volcan. La nature vivante s’efface petit à petit, laissant place à une étendue de sable noir recouvrant le sol jusqu’aux premières hauteurs de cette montagne. Cette vision-là est absolument inédite pour moi. Il n’y a presque aucun bruit, seul le vent vient murmurer à mon oreille. Je suis subjuguée, ébahie, éblouie par cette immensité quasi sans vie. Lunaire, apocalyptique, déserte, irréelle, sur réelle. Quelques plantes grasses viennent apporter un peu de verdures au milieu des anciennes coulées de lave, mais elles apparaissent presque comme des tâches sur ce panorama que je garderai à jamais gravé dans ma mémoire. Et, à ce moment-là, je me fais une promesse. Si un jour, Alzheimer vient à me défier, jamais elle ne pourra m’enlever cette image. Jamais…

Mary Jane.

ÉPISODE SUIVANT – LUNDI 25 FÉVRIER 2019