Aujourd’hui, nous sommes le 6 juin 2019. Pour une fois, je regarde la télévision, juste un hasard. Une édition spéciale occupe les chaînes principales, en titre, D-DAY. Et voici que les souvenirs me viennent.

Allez, viens, j’temmène faire un voyage dans le temps…

…75 ET TOUJOURS DES QUESTIONS …

Juste le temps de voir quelques images. Juste le temps d’écouter quelques mots. Puis, finalement, je ne bouge pas. Aucun souvenir, pour moi, ce sujet ne fait référence qu’à des cours d’Histoire qui datent de quelques années maintenant. Puis, soudain, je compte. 75 ans, à peine une génération me sépare de ce jour.

Il est vrai que ce matin, je me lève nostalgique, la météo n’aide pas. Mais, quelque chose me revient. Il y a une dizaine d’années, pour un cours de littérature, j’ai lu le Journal d’Anne Franck. J’ai été, comme beaucoup je pense, traumatisé, perturbé, choqué, heurté par ces lignes. Comment une telle cruauté peut-elle être… Cette lecture souleva tout un tas de questions auxquelles je tentais d’obtenir des réponses. Il me fallait comprendre.

Et voici que je me tournais vers la personne la mieux placée autour de moi. Une personne qui connue cette période, qui la vécut, ou plutôt qui la survécu, mon grand-père. Seulement, il y a 10 ans, je ne me rendais pas vraiment compte les dégâts que peuvent laisser ce bout de vie. Mon papi, il est parti en Allemagne, ça je le sais, comme son frère, comme son beau-frère, comme tant d’autres d’ailleurs… Pourquoi faire ? Combien de temps ? Comment est-il parti là-bas ? Comment est-il revenu ? En plus de toutes les questions d’ordre général, j’en vins à des questions plus personnelles, celles qui touchent ma famille…

…UN MOMENT VOLE…

Je savais que je devais trouver le bon moment pour lui parler de cela. Je ne mesurais pas l’envergure du passé, mais je sentais que je m’aventurais en terrain glissant. Jamais il n’en parlait. Jamais il n’en faisait référence. C’est donc sans surprise qu’il ne répondit à aucune de mes curiosités. Aucun mot. Rien. Il me regarda dans les yeux que je vis devenir humides. Habituellement, il ne perdait pas de temps, il allait toujours droit au but. Ces mots étaient pesés, son attitude était contrôlée, son temps était étudié. C’était donc la première fois que je le voyais réagir ainsi…

Décontenancée, je compris qu’il ne dirait rien. Sans aucune insistance, je saisi qu’il ne pouvait pas parler, je senti que c’était impossible pour lui, peut-être était-ce tout simplement trop dur. Il était calme, assis sur son banc au fond du jardin, la main posée sur sa canne. Il me regardait dans un silence qui voulait dire beaucoup. De part ses yeux, il me racontait. Ce moment a duré quelques minutes, intenses. Un moment volé, entre lui et moi. Son message était lourd de sens. Je passais à travers les verres de ses lunettes. Il m’emmena avec lui, au plus profond de son regard, remuer les souvenirs du passé. Ce que j’y vu me fit peur.

Jamais je ne saurai avec des mots, mais je me souviendrai toujours de cette expression. Un mélange de tristesse, de peur, de terreur, d’horreur, tout ce qu’il n’avait jamais laissé transparaître durant le reste de sa vie. Alors, par respect, je me tus. Je gardais cet instant secret. Je pris soin de ranger la moindre particule qui composait ce présent passé trop vite, dans un coin de ma mémoire, lié directement à mon cœur. Mon papi, il n’avait jamais peur et en le voyant ainsi, je me promis de toujours me ranger du côté de la paix.

…UN PASSE TOUJOURS PRÉSENT …

Alors, quand je tombe sur cette commémoration aujourd’hui, forcément, je m’offre un autre genre de voyage. Submergée d’émotions, je regarde tous ces vétérans qui résistent au temps qui passe. Écartant le côté politique que peut prendre ce genre de programme médiatique, je me concentre sur le côté humain. Brûlante d’injustice, je me demande à quoi ma vie aurait eut l’air si, moi aussi, j’avais eut à traverser cette période.

Quand j’écoute les quelques récits de certains héros, je ne peux imaginer. Même si Spielberg et Hanks nous ont donné une chance de nous rendre compte, je ne suis pas en mesure de tout saisir et par respect, je ne l’oserai pas. Cette tranche de l’Histoire appartient au passé, mais pas que, elle me relie à lui.

A ce moment-là, je regarde cette étendue verte avec un nombre incalculable de croix blanches. Je regarde le peu de médailles qu’il reste à distribuer par les présidents français et américain. Je regarde l’énorme gerbe de fleurs blanches et rouges. Et les gros plans m’offrent une parenthèse. Cette lueur qui brille dans les yeux de certains me ramène près de lui, à notre moment à tous les deux…

Le passé est passé mais ne sera jamais effacé…

Mary Jane.